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Discours prononcé au Collège d'Europe à Bruges sur l'avenir de l'Europe

 

Monsieur le Gouverneur,

Monsieur le Recteur,

Monsieur le Président du CPAS et Echevin, 

Madame l’Echevine,

Mesdames et Messieurs, chacun en vos titres et qualités,

 

Vous avez raison, et le dire face à des étudiants est important, une première fois en général ça ne s’oublie pas. Et c’est pour moi aujourd’hui deux fois une première fois ! D’abord que j’ai l’occasion de visiter le Collège d’Europe qui est une prestigieuse institution, mais plus encore – première fois que j’ai l’occasion de rendre hommage à une personnalité politique socialiste. Ce n’est pas dans mes habitudes ou dans mes traditions. Mais je dois reconnaître, et vous l’avez à juste titre mentionné, que cette personnalité a tellement de qualités, et a à ce point marqué l’histoire de notre pays, de l’Europe et du monde, qu’il y avait, me semble-t-il, bien des raisons de soutenir cet acte symbolique extrêmement important.

Je voudrais vous dire aussi que je suis naturellement très fier et très heureux d’avoir l’occasion de vous rencontrer ce matin pour parler de l’Union européenne, pour parler de ce qui est pour moi une des plus belles idées politiques du siècle dernier et qui se traduit jour après jour, mois après mois, parfois même crise après crise dans la réalité, dans le quotidien des citoyens, des femmes et des hommes au sein de l’Union européenne.

En regardant toutes celles et ceux qui m’ont précédé à cette illustre tribune je voyais qu’il y a un peu plus de trente ans une grande personnalité également, Margaret Thatcher, s’était exprimée à cette tribune.

Certains, mauvaises langues peut-être - je ne tire pas de décision définitive en ce qui me concerne - interprètent même cette prise de parole comme étant un des premiers pas qui peut-être préfigurait déjà trente ans plus tard ce qu’allait être le Brexit au travers du referendum.

Alors, pour éviter toute ambiguïté et ne pas permettre que dans trente ans de mauvaises langues n’interprètent erronément le message que je donne aujourd’hui, d’emblée je le dis, je suis un européen convaincu. Totalement convaincu. Totalement acharné.

Un européen convaincu essentiellement – mais pas seulement – pour deux raisons.

La première raison, elle est fondée en quelques sortes sur une forme d’émotion comme beaucoup de familles en Belgique et en Europe, le siècle passé, le siècle de nos parents et arrières grands-parents a été marqué par deux guerres mondiales, totales. Et ces deux guerres ont fait couler le sang sur le sol européen, ont généré les tragédies et les drames. Elles sont le fruit d’une addition d’égoïsmes. D’une addition de replis, d’une addition de méfiance mutuelle, d’incompréhensions qui ont donné lieu à ces conflits aux conséquences destructrices pour la liberté, pour l’émancipation, pour les rêves de femmes et d’hommes qui ont été brisés.

Et puis, dans ce siècle qui nous a précédé, il y a eu quelques leaders politiques courageux et éclairés qui ont fait un autre choix. Le choix de la compréhension mutuelle, du respect mutuel, et le choix, alors qu’ils avaient été les ennemis d’hier, de tenter de dessiner les contours pour travailler ensemble, et tenter de relever quelques défis fondés sur ce qui, malheureusement, peut paraître aujourd’hui une évidence pour de nombreux citoyens mais ne l’était pas à l’époque et ne l’est pas non plus aujourd’hui, la paix et la prospérité.

L’un va avec l’autre, il n’y a pas de prospérité sans paix et sans sécurité. Il est certain que la prospérité, le développement économique, la cohésion sociale, la capacité de relever les défis climatiques est aussi un ingrédient qui nourrit la capacité en permanence de forger cette paix, cette sécurité qui est la condition pour la liberté et pour l’émancipation.

La première raison, vous l’avez compris, elle est fondée sur cette émotion et aussi, comme beaucoup de familles, ces histoires familiales – mes grands-parents, mes arrières grands-parents directement concernés, affectés par ces tragédies de guerre comme c’était le cas pour tant de familles sur le sol européen.

La deuxième raison, elle est très rationnelle. Et certainement depuis quatre ans et quelques mois dans l’exercice de cette responsabilité de Premier Ministre, je mesure, pour un pays tel que le nôtre au cœur de l’Europe, à quel point notre avenir est lié à ce qui va se passer de bien ou de moins bien autour de nous. J’ai donc cette conviction que notre capacité à soutenir le développement économique et la cohésion sociale, à relever le défi de protection sociale– pas seulement aujourd’hui mais également demain, après-demain… à garantir les soins de santé, financer les pensions, créer les conditions pour que l’innovation soit au service d’un monde meilleur et de meilleures conditions de vie pour le maximum de nos citoyens. La capacité ou pas de relever le défi climatique et cette expression d’une ambition citoyenne très forte, porteuse, je le crois, d’enthousiasme si on se retrousse les manches et portons les bons choix.

Lutter contre le terrorisme qui a fait dans de malheurs et de drames, y compris en Europe, y compris en Belgique, dans notre capitale belge et européenne il y a peu de temps.

Si nous voulons relever ces défis, qui sont pour partie des défis globaux, ce n’est pas le repli sur soi, et ce ne sont pas les échecs du passé qui deviendraient des succès de demain ou après-demain, mais au contraire cette capacité de coopération, de regarder ensemble quel est le diagnostic. Et sur base d’un diagnostic lucide, voir quels sont les moyens pour forger des solutions qui soient le plus largement soutenues

Donc, je suis un européen convaincu, mais pas européen béat. Européen convaincu parce que je suis totalement déterminé à être acteur, avec tous les citoyens qui le souhaitent, de cette construction d’un projet européen porteur de solutions.

 

Le diagnostic

Il est important de faire ce diagnostic sur l’état de l’Union européenne. Quelques mots brefs sur le sujet. Il y a certainement beaucoup plus de science dans cette salle pour dresser dans tous les domaines de la vie économique, sociale ou sécuritaire, les indicateurs qui montrent l’état de santé du projet européen.

Pour être un peu provocateur, je dirais, un peu comme une intuition, une impression, que de mon point de vue, l’Europe … ça marche plutôt pas mal mais ça ne se voit pas assez.

Lorsque l’on regarde les progrès qui ont été enregistrés tout au long des dernières décennies, dont certains étaient inimaginables il y a 10 ans, 15 ans, ou 20 ans, et lorsque l’on regarde la perception, le regard qui est porté sur cette réalité, on voit un décalage. C’est peut-être ça, la bataille pour les prochaines années. Comment peut-on faire en sorte que ce projet, qui est porteur de valeurs puisse être ressenti, perçu directement comme étant porteur de valeurs et non pas instrumentalisé comme il l’est de plus en plus ? Pour apparaitre à tort comme étant la cause de tous les maux comme décrit par certains populismes extrêmes partout en Europe.

L’Europe a progressé par les crises successives auxquelles elle a été confrontée. Certains disent ces dernières années qu’on a été confrontés à une succession de crises, et c’est vrai.

 Il y a eu la crise de la dette, la crise financière, la crise économique, le Brexit, le terrorisme – ce sont des difficultés majeures auxquelles nous sommes confrontés. Mais tout au long de son histoire, les leaders européens, les citoyens européens ont été confrontés à des moments qui étaient à l’époque perçus comme des crises. Crises qui bien souvent ont été des occasions pour rebondir plus haut, pour faire en sorte que les conséquences puissent être tirées, pour faire en sorte qu’il y ait plus de capacité à travailler ensemble sur un certain nombre de sujets.

Vous le comprenez, le diagnostic que je veux dresser n’est pas « tout va très bien Madame la Marquise », en aucun cas. C’est un diagnostic lucide des avancées substantielles ont été réalisées, des crises ont été gérées, parfois surmontées, et il y a bien entendu pour notre génération, pour votre génération des défis encore devant nous, c’est le futur de l’Europe. Et ce sont ces défis-là qu’il faut pouvoir appréhender.

Alors, toujours dans cette exigence de lucidité, l’Europe depuis quelques années n’est plus exactement la même parce que le monde autour de nous a changé. Il y a autour de l’Union européenne un arc soit d’insécurité, soit d’instabilité. Cet arc se traduit au Nord par cette question Brexit, j’y reviendrai tout à l’heure, qui traite non seulement de la manière dont la séparation va se passer, mais aussi de la manière dont la relation future va se déployer dans tous les domaines : économique, sécuritaire, géopolitique, et les conséquences sur le plan social pour les européens. Peut-être aussi en Grande Bretagne sur les valeurs qui sont portées par l’Europe et qui seront portées demain par elle. 

Au Sud de l’Europe il y a ce très grand continent, qui pour toujours sera le continent voisin, le continent Africain, avec dans de nombreux pays une pauvreté qui reste extrêmement forte, avec une insécurité, une instabilité, des conflits très nombreux, et une démographie que chacun connait, qui doit donner lieu dans les prochaines années à de très nombreux jeunes sur le continent africain qui ont trop peu de perspectives. Perspectives en terme d’emploi, de réalisation émancipatrice, de cette soif de liberté intérieure qui vit comme une flamme pour chacune et chacun des êtres humains sur cette terre.

A l’Est il y a un autre voisin qui fait part d’imprévisibilité, parfois aussi via des actes unilatéraux et le non-respect de la souveraineté territoriale. Il bouscule, suscite aussi des inquiétudes. Des inquiétudes que nous devons aussi mesurer parce que l’Union européenne, qui est composée aussi de pays différents, avec des histoires qui sont aussi parfois différentes, fait naître des sentiments, des émotions particuliers. De nombreux pays à l’Est ont cette sensibilité, cette préoccupation, cette grande inquiétude pour la manière dont les relations avec ce grand voisin russe va se déployer à l’avenir.

Et puis du côté Ouest, cette grande tradition transatlantique qui s’est matérialisée dans le cadre de l’OTAN est ébranlée par une nouvelle administration, dont certains se demandent si elle incarne une évolution structurelle dans la relation des Etats-Unis avec l’Europe ou s’il y a une dimension circonstancielle. Je ne crois pas, pour ce qui me concerne, que ce soit circonstanciel. On voit bien, que ce soit sur la dimension sécuritaire, sur le libre-échange et l’inquiétude liée au protectionnisme, les repères classiques de ces dernières années été ébranlés autour de nous. Cette situation, quand on regarde la manière d’envisager nos relations structurelles au cours des prochaines années avec les grandes régions du monde, vont nous amener, je le pense - j’en suis totalement convaincu - à savoir très précisément où nous volons aller. Que voulons-nous faire au sein de l’Union européenne ? Quel est notre projet ? Quelle est notre ambition ? Quelle est notre volonté d’agir ? Dans quel domaine et avec quelles priorités ? Avec quelle méthode ? Parce qu’il ne suffit pas d’avoir projet, une ambition, d’avoir un rêve, encore faut-il tenter au travers d’une méthode la plus efficace possible, de pouvoir réaliser les objectifs que l’on veut se fixer.

 

 

 

 

Que voulons-nous faire ? Trois promesses

La première question que je pose c’est : que voulons-nous faire ? Encore une fois sans vouloir être dans l’émotion, dans le romantisme, je pense que l’on doit dans ce moment-ci, après les pères fondateurs, après la génération de ceux qui ont consolidé le projet européen – je pense à François Mitterrand, Helmut Kohl, Jacques Delors – nous sommes soixante ans plus tard, après le Traité de Rome, nous sommes la génération d’aujourd’hui que j’appelle la « génération des entrepreneurs ». Celle qui doit oser, innover, et définir les nouvelles promesses que l’on exprime pour nos citoyens dans les prochaines années.

Je vois, pour ce qui me concerne, trois promesses pour lesquelles nous devons nous donner les moyens.

 

La promesse de sécurité

La première promesse est évidemment celle de la sécurité. Parce que la sécurité est la condition de la liberté. C’est la condition pour la paix, pour la prospérité. On voit effectivement que cette liberté, cette capacité de garantir l’Etat de droit, la démocratie, les valeurs fondamentales, la liberté d’expression, la liberté de la presse, cette sécurité est tout-à-fait fondamentale et nous voyons bien qu’elle est mise sous pression par un certain nombre de situations autour de nous. J’ai dessiné la carte des régions au sein desquelles des conflits graves ont parfois des impacts le continent européen. Pour cette dimension de la sécurité, il y a quelques points que je veux avec vous réaffirmer.  

La sécurité, cela suppose que cette liberté de circuler dans la zone Schengen puisse continuer à se déployer. L’un va avec l’autre. Pour que l’on tente de lutter mieux contre l’insécurité, on a continué à progresser sur toutes les formes de menaces sur notre sécurité et notre liberté personnelle. C’est le terrorisme, par exemple. Oser faire coopérer davantage nos services de renseignements qui, j’en ai été témoin ces dernières années, étaient bien souvent dans des traditions de coopération bilatérales d’Etat à Etat, fondées sur un modèle qui relevait d’une autre époque. D’une époque de la Guerre Froide où l’angoisse des services de renseignement était d’être infiltrés par un service adverse. Dès lors qu’il y a ce projet européen, cette liberté de circuler, nous devons aller vers plus d’automaticité et de coopération dans ces dossiers de sécurité et de services de renseignements. Premier exemple pour tenter de progresser et hausser notre niveau de sécurité, et faire reculer les menaces.

Deuxième exemple, l’Europe de la défense est pour moi aussi un sujet extrêmement important. Et sans naïveté, des pas importants ont été franchis ces dernières années, des pas bien plus importants qu’on aurait pu l’imaginer il y a encore 10 ou 15 ans. Et pourtant, pour qu’il y ait réellement une progression, il nous faut une stratégie plus commune en matière de relations extérieures. Parce que pour qu’il y ait une Europe de la défense plus aboutie on a besoin d’avoir la même vision géopolitique, ce qui n’est pas toujours le cas. On a besoin aussi d’avoir le même type de doctrine militaire, ce qui n’est pas non plus toujours le cas. Et cette Europe de la défense, à mes yeux, ce n’est pas une Europe contre l’OTAN mais une Europe avec l’OTAN, un pilier à l’intérieur de l’OTAN qui nourrit autant que possible ce lien pour l’avenir transatlantique avec l’Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada principalement), tout en veillant à ce que l’intérieur de cet ensemble ne considère pas que nous sous-traitons à d’autres notre sécurité. Il faut que l’on assume notre responsabilité sur le sujet, et cela suppose effectivement d’investir et de mettre cette défense au service de nos intérêts et de nos considérations géopolitiques, mais aussi des valeurs que nous portons dans notre réflexion géopolitique, qui n’est pas la même que celle portée par d’autres acteurs.

La sécurité, garantir les libertés, protéger les espaces de libre-circulation en Europe, et j’en viens naturellement à cette question essentielle, nous l’avons vue dans de nombreux débats démocratiques et qui ont eu un certain nombre d’impacts électoraux récemment, la question des migrations. Je peux vous en parler d’autant que le gouvernement belge est probablement l’un des premiers à être tombé sur une question de migrations, puisqu’il y a quelques semaines cette crise politique a donné lieu à la démission des ministres NVA. Cela s’est fondé sur une divergence de vues substantielle.

Quelques éléments par rapport à cela. Premier point, je crois que l’on doit continuer les efforts qui ont été entrepris depuis quelques années et qui commencent à porter leurs fruits, pour beaucoup mieux contrôler les frontières extérieures de l’UE. Toutes les grandes démocraties ont des frontières qui doivent être contrôlées, surveillées, pour une question d’ordre public et ainsi de savoir qui accède au territoire.

Deuxième point, on doit se déployer pour faire en sorte que la responsabilité et la solidarité – l’un va toujours avec l’autre -, d’une part des Etats de première entrée, et d’autre part des Etats qui reçoivent de la migration secondaire (c’est le cas de la Belgique, des Pays-Bas et de l’Allemagne), soit beaucoup plus étroite qu’elle ne l’est aujourd’hui. On voit bien qu’il y a cette grande difficulté à générer une stratégie commune car il y a à la fois un déficit de responsabilités et de solidarité, et cette nécessité de nourrir un dialogue mutuel pour prendre des décisions dans le cas, par exemple, de cette capacité d’organiser la relocalisation, pour faire en sorte qu’il y a ait plus de soutien aux Etats de première entrée dans le processus de gestion des arrivées. Sur cette question de migration, je pense qu’il y a un point qu’on oublie souvent de mettre en évidence : bien sûr, et c’est évident à mes yeux, on doit tenter de faire reculer autant que possible les mouvements migratoires irréguliers, illégaux. Mais dans le même temps, je pense que l’honnêteté exige d’indiquer que l’on doit aussi ouvrir des canaux légaux de migration, ce qui est peu mis en évidence dans le débat. Pour des étudiants, dans un cadre économique, pour une durée parfois déterminée avec la possibilité de retourner dans son pays après avoir étudié pour faire bénéficier des savoirs qui ont été acquis. Nous devons aussi, je le pense, dans ce partenariat avec l’Afrique ouvrir ce dialogue-là. Pas seulement un dialogue sur les retours, les réadmissions, le contrôle des frontières – c’est important bien sûr, mais également ouvrir la voie à une capacité, de manière cadrée, régulière, ordonnée, d’ouvrir des canaux légaux de migration. Et ce Pacte pour les migrations régulières, ordonnées, sûres, s’inscrit dans cette démarche-là.

 

Et c’est vrai, je me suis inscrit en faux, j’ai combattu avec beaucoup de fougue ce raisonnement que je crois falsifié, que je crois porté par une tentation manipulatrice, qui a voulu créer l’impression que ce Pacte aurait été un Pacte pour des frontières ouvertes. C’est exactement l’inverse. C’est un Pacte qui part du constat que, par principe, pour gérer les questions migratoires de manière régulière, ordonnée et sûre, on a besoin de coopération. Par principe, la migration est un phénomène transnational qui exige une coopération. Aucun pays seul ne peut résoudre cette question-là. C’est la coopération européenne qui est nécessaire, par exemple pour favoriser des partenariats pour mieux lutter contre les trafiquants, contre les passeurs qui exploitent cette misère et ces malheurs de l’humanité. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité porter les valeurs de notre pays, fort aussi du soutien d’une très large majorité parlementaire, plus de deux tiers du Parlement a soutenu ce Pacte, et entre les péripéties d’une coalition à un moment donné, et la place de la Belgique sur la carte du monde, sur la carte multilatérale, les valeurs que nous voulons déployer, j’ai fait un choix. Parce que j’ai pensé que dans 5,10, ou 20 ans lorsqu’on regardera l’histoire de notre pays nous verrons que la Belgique a été, il y a plus de soixante ans, en première ligne pour soutenir les Traités de l’Union européenne, en première ligne pour porter la Convention européenne des Droits de l’Homme, en première ligne pour soutenir l’organisation des Nations Unies (sa naissance et son déploiement), et aura été aussi présente pour faire en sorte que quand il y a un pas en avant pour tenter de donner un cadre à ce phénomène de migration, qu’il puisse être régulier, ordonné et sûr. C’est donc en conscience que j’ai posé ce choix, en mesurant bien quels étaient à court terme – sur le plan politique – les conséquences inévitables sur ce sujet. Il n’y avait pas à mes yeux l’ombre d’une hésitation.

Donc, premier point : la question de la sécurité et des éléments qui y sont liés.

 

La promesses de la prospérité

Deuxième promesse, la promesse de la prospérité. Cette promesse, qui est l’un des fondamentaux du projet européen depuis plusieurs décennies, est plus que jamais d’actualité à mes yeux. On voit dans nos pays européens à la fois des mouvements sociaux, des expressions d’une autre politique en matière climatique. On voit qu’il y a cette soif des citoyens, légitime, d’être davantage acteurs, d’influencer directement un certain nombre de décisions, d’orientations, d’impacts pour chacune et chacun d’entre nous.

Quelques points par rapport à cela. Premier point, je reste totalement dans le camps de celles et ceux qui font l’analyse, le regard tourné sur les enseignements de l’Histoire, que là où il y a de la capacité de développer du libre-échange avec des règles de réciprocité pour qu’il y ait des accords équilibrés, des accords qui ne soient pas porteurs de frustrations qui tôt ou tard amènent des conflits et des tensions… Là où il y a cette capacité, il y a aussi la paix et la prospérité. C’est vrai depuis le Moyen-Âge, depuis les villes italiennes qui ont développé du commerce les unes après les autres, et qui ont forgé des relations pacifiques. Ce sera vrai encore, je le crois, demain et après-demain.

Et dans cet esprit-là, dans le débat sur le CETA, toute l’Europe et le Canada ont regardé la Belgique, et la Wallonie en particulier, en lien avec cet accord de libre-échange. De la même manière que pour le Pacte de la migration il y a quelques semaines. J’avais été ferme, constant et intransigeant sur le Pacte, je l’ai été aussi sur le CETA. Et je me souviens des débats, des contre-vérités qui ont été colportées en lien avec ce traité. Et je vois aujourd’hui que l’auditeur européen confirme que ce traité est compatible avec les textes européens. Je vois surtout les progrès qui ont été enregistrés en terme de croissance dans les échanges, avec à la clé des emplois, des investissements en Europe, en Belgique également.

 Je suis totalement convaincu et favorable au maintien de cette capacité de libre-échange dans un moment où des pressions existent partout dans le monde pour remettre en question ce modèle. Avec des règles, avec du level-playing field, sans naïveté, en faisant par exemple en sorte que l’on puisse avoir ce débat sur le screening ou le filtrage des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques, qu’il n’y ait pas de naïveté dans nos relations avec d’autres grandes régions du monde. Je pense que ce libre-échange continue plus que jamais à être porteur de croissance et de bien-être, de capacité de développement économique au travers des emplois qui sont créés.

Mais je pense qu’on doit aussi, comme européen, ouvrir les yeux sur un certain nombre de sujets qui ne sont pas suffisamment traités pour l’instant, ou traités avec trop peu de courage. Il y a quelques points que je voudrais mentionner.

Le sujet de la fiscalité est parmi, à mon avis, les plus marquants. Nous avons une fiscalité qui reste très principalement nationale. Cela reste un élément de souveraineté. Dans le cas de fiscalité, on voit aujourd’hui dans la plupart des pays européens et en Belgique aussi, que la pression fiscale est principalement sur le travail. Sur les gens qui travaillent ou les gens qui créent de l’emploi. Or il n’y a que trois capacités pour développer de la fiscalité. Que trois sources possibles. Si ce n’est pas le travail, les deux autres sont la consommation et le capital. On sait que ces autres sources possibles, surtout le capital, donnent lieu à de la flexibilité pour échapper et s’évader en fonction d’un certain nombre de paramètres. On sait aussi qu’il y a quelques décennies, à juste titre, des gouvernements qui voulaient lutter contre des formules aboutissant à de la double imposition, qui n’était pas positive pour le développement et l’emploi, ont développé des traités pour éviter celle-ci. On voit aussi que ces additions d’accord internationaux ont créé des espaces, des vides dans le cadre desquels il est possible – non pas de faire de la fraude fiscale, je ne parle même pas de ça – mais d’échapper à l’impôt ou de réduire considérablement son niveau d’impôt.

Et c’est ça, notamment à mes yeux, le grand débat en lien avec les GAFA. Les plus grandes sociétés Internet, la plupart n’étant pas européennes, étant américaines ou asiatiques, qui produisent de la valeur sur ce marché européen et qui paient peu d’impôts. Elles en paient un peu, mais avec comme conséquence de reporter cette charge fiscale sur des personnes qui travaillent : classes moyennes, petites entreprises. Il y a là un paramètre structurellement déséquilibré sur le plan européen et – j’ose le terme – s’agissant de l’incapacité, jusqu’à aujourd’hui, à progresser réellement dans la fiscalité des GAFA.  Une forme de suicide fiscal, de masochisme fiscal, qui crée de la pression, et pas seulement un sentiment d’injustice, mais une injustice réelle sur les citoyens et acteurs quotidiens de la vie économique. C’est dans ce sens-là aussi que je forme le vœux qu’on pourra progresser sur ces sujets. Dans le même esprit, je pense qu’on devra avancer sur l’harmonisation de l’assiette fiscale pour l’impôt des sociétés. Je ne parle pas encore de l’harmonisation de l’impôt des sociétés, mais au minimum encourager par les efforts sur ce sujet-là me paraît important.

Approfondissement de l’Union économique et monétaire également. Je vais être très bref par rapport à cela. Il y a ceux qui disent depuis longtemps qu’on ne peut pas approfondir l’UEM parce qu’il faut d’abord réduire les risques, et il y a ceux qui disent qu’avant de réduire les risques il faut être un peu plus solidaires. Nous sommes dans une logique de bon sens. Il faut faire les deux. A la fois réduire les risques, faire des réformes structurelles pour stimuler davantage le développement économique, et dans le même mouvement tenter de renforcer la solidarité au sein de l’UEM pour faire en sorte que cette Union soit plus robuste, plus forte, plus attractive pour  l’emploi, les investissements, et ait un impact pour l’ensemble du marché intérieur. C’est un élément qui me semble aussi extrêmement important.

Enfin, dans le cadre de cette exigence de prospérité, il y a naturellement un sujet qui doit se faire de plus en plus central. Et ce n’est pas un propos de circonstances. Si l’on veut mobiliser et rebooster ce projet européen, nous devons utiliser cette question climatique comme étant une occasion. Comme étant une opportunité, comme étant une chance. Le monde, et l’Europe aussi, est confronté à ce défi climatique. L’intelligence, la recherche, la démonstration que ce défi est un défi existentiel fondamental pour l’humanité et que le rôle de cette génération est de prendre ses responsabilités et de voir de quelle manière on peut apporter des réponses, mais qui ne soient pas des réponses qui se contentent de proclamer des ambitions, des espoirs, mais qui réellement se traduisent par des mesures, par des décisions très concrètes.

Et dans ce cadre-là ma conviction – cela vaut pour la Belgique comme pour l’Europe – c’est qu’on doit passer à l’acte II : après le diagnostic, après la proclamation des ambitions (ce que l’Europe a beaucoup fait ces dernières années sur la scène internationale), voir comment on peut faire en sorte de métamorphoser notre développement économique pour utiliser cette opportunité. Non pas de régresser, non pas de reculer, mais de voir de quelle manière on peut mieux conjuguer une ambition industrielle trop faible en Europe ces dernières décennies (le secteur industriel a beaucoup quitté l’UE) – avec cette ambition climatique et en faire une opportunité grâce à l’innovation, à la recherche, grâce à une stratégie énergétique. C’est ce raisonnement autour d’un Green Deal européen.

Je crois profondément qu’un Green Deal doit se développer sur le plan européen, davantage que sur le plan national. S’il se déploie sur le plan national, on réinstaure des compétitions, des concurrences et une forme de dumping environnemental intra-européen néfaste au développement économique, néfaste pour l’emploi. Je crois donc profondément qu’un Green Deal européen avec une stratégie énergétique, avec une stratégie industrielle – et probablement dans le cadre de ces élections européennes 2019, le sujet central pour cette capacité de réinventer le projet européen, d’avoir cette ambition renouvelée, et de susciter l’adhésion la plus large possible. De gauche ou de droite, le climat n’a pas de couleur idéologique. Il s’agit d’un sujet dans le cadre duquel le bon sens, l’innovation et la créativité  doivent permettre, sans faire de combats politiciens d’arrière-garde, d’être à la hauteur de ce défi, et d’en faire un défi dans le cadre duquel on veut créer de la valeur additionnelle. Pas un défi pour lequel nous considèrerions que la seule réponse est de reculer, de régresser et de vivre moins bien que cela n’était le cas auparavant.

Et enfin, en lien avec la question de cette prospérité, il y a encore un point que je voudrais mentionner, c’est cette question de la dimension sociale du projet européen. Ces dernières années Marianne Thyssen, Commissaire européenne belge, a tenté de faire progresser le socle des droits sociaux, et ce sont des pas qui vont certainement dans le bon sens.  Je pense qu’une option très précise, très concrète qui devrait être posée, certainement dans cette campagne européenne, c’est la question de la convergence économique et sociale, et donc de remettre sur la table cette idée d’harmoniser le salaire minimum européen. Je suis favorable à l’harmonisation du salaire minimum européen. Aujourd’hui il y a un écart de 1 à 10 en terme de montant brut entre salaires minimums dans les pays européens. On voit bien qu’on peut le faire au travers des réformes structurelles, au travers des responsabilités, au travers d’une forme de solidarité qui apparait sous forme des fonds de cohésion, mais également au travers de principes sur le marché du travail qui font ce pas en avant. Je ne manquerai pas avec d’autres de remettre sur la table, dans ces moments de rendez-vous démocratiques, ce sujet qui m’apparait important.

 

Promesse sur les valeurs européennes

Promesse de sécurité, de prospérité avec toutes les déclinaisons qui y sont liées, et puis il y a un dernier point, une dernière promesse, celle sur les valeurs européennes. Ces valeurs de liberté d’expression, d’égalité entre les femmes et les hommes, d’Etat de droit, de liberté de conscience. De liberté dans son intime conviction, de croire en un Dieu ou de ne pas croire, et d’être respecté pour ses convictions intimes, philosophiques et personnelles. Toutes ces valeurs sont un socle qui fondent le projet européen et qui permet de vivre ensemble dans le respect mutuel et dans l’harmonie.

On voit que la montée en puissance des populismes, d’extrémismes, parfois de tentations autoritaires sur le sol européen, met sous pression ces valeurs qui forgent le projet européen. Et dans ce cadre-là, je pense qu’on doit être en même temps très déterminés à protéger ces valeurs, qui sont à mes yeux tangibles parce qu’universelles, mais on doit en même temps éviter de tomber dans la maladresse d’une attitude de donneur de leçons. Parce que quand on se comporte en donneur de leçons je ne pense pas que l’on soit efficaces. C’est la raison pour laquelle la Belgique, en matière d’Etat de droit et de droits de l’Homme, plaide depuis longtemps pour qu’on puisse développer sur le plan européen une logique de peer review. Cette idée d’évaluation par les pairs dans l’ensemble des pays membres des progrès qui sont réalisés, des encouragements à faire pour qu’on puisse réellement traduire ces valeurs cardinales de liberté, d’émancipation et de respect pour ces valeurs fondamentales. Il y a, vous le savez, des procédures enclenchées contre des Etats membres en lien avec ces questions d’Etat de droit très centrales. Il me semble que ces procédures sont légitimes, il n’y a pas de doute par rapport à cela et doivent être l’occasion de réaffirmer nos valeurs. Mais elles ne doivent pas être des procédures qui rompent, qui cassent, qui brisent le dialogue. L’essence même du projet européen, c’est le dialogue. C’est la capacité par la conviction de faire progresser un certain nombre de convictions aussi sur ces sujets-là. Cela me semble aussi être un élément important.

 

Des promesses mises à l’épreuve

Enfin, ces trois promesses sont mises à l’épreuve. Elles sont mises à l’épreuve dans le débat sur le budget européen. Débat qui a démarré et qui va, je l’espère, traduire ces ambitions. C’est dans ce sens-là en tous cas que nous allons nous mobiliser.

Elles sont mises à l’épreuve aussi dans le cadre du Brexit. Nous devons respecter le choix d’un peuple souverain, le choix du peuple britannique, même si c’est un choix que nous regrettons. A mes yeux, il y a une forme de masochisme dans ce choix. Je ne crois pas que la Grande-Bretagne soit plus robuste aujourd’hui qu’elle ne l’était avant le référendum. Mais ce choix est posé, et dans quelques semaines intervient une date importante.

Je veux vraiment être très précis, et nous avons été constants sur le sujet. D’une part, l’unité des 27 a pu être garantie tout au long de cette négociation sur l’accord de retrait et la préparation de la déclaration pour l’avenir, grâce au travail brillant et de grande qualité de Michel Barnier qui a garanti la transparence et les échanges d’informations dans cette négociation. Mais la clarté impose de dire que entre un No Deal et un Bad Deal je préfère encore un No Deal qui aura le mérite de la clarté et d’assumer la responsabilité.

Je pense que le danger d’un Bad Deal est très grave, existentiel pour l’avenir de l’Union européenne. Pourquoi ? Parce que le backstop n’est pas une question théorique virtuelle, ce n’est pas un détail dans un accord. La différence, c’est que ce backstop représente deux enjeux. D’une part, la paix en Irlande, la garantie d’un accord essentiel. Comme d’autres, je me suis rendu à l’endroit de cette ancienne frontière en Irlande et ai vu l’émotion en lien avec ce backstop et à ce risque de frontière physique. Mais c’est aussi l’intégrité du marché intérieur. C’est aussi la capacité de développement économique, d’emploi, d’investissements demain, après-demain, qui est en jeu sur le sujet. Et donc s’il s’agit simplement d’aller dans le sens d’un mauvais accord, comme certains peut-être le préconisent, parce que certains pensent qu’un mauvais accord vaut mieux que pas d’accord, ici je ne le pense pas. Ici nous devons être fermes, clairs, nets. Il y a toujours une grande flexibilité pour tenter de prendre en considération les prétentions légitimes des britanniques, mais s’agissant de ce qui est existentiel, la paix et la prospérité, nous devons être fermes sur nos positions. Nous verrons quels seront les développements dans les jours et les semaines qui viennent sur ce sujet extrêmement important.

Vous le voyez, le menu pour l’avenir de l’Europe est lourd, important, essentiel et enthousiasmant aussi.

 

La méthode

La dernière question est celle de la méthode. Comment peut-on faire en sorte que l’on puisse prendre des décisions, donner des orientations à l’avenir de l’Europe ? Il y a quelques points qui me paraissent importants.

Premier point, c’est de faire en sorte que les clivages entre le Nord et le Sud, qui se traduisent par un certain nombre d’analyses sur ce qui est utile en terme de convergence économique. Les clivages entre l’Est et l’Ouest, où nous avons parfois des débats sur l’Etat de droit par rapport au pouvoir ou sur les questions de migrations. Les clivages idéologiques aussi, qui coexistent en Europe. Tous ces clivages-là, il faut que nous puissions les dépasser au maximum. Je crois que la Belgique, qui a souvent joué un rôle de bâtisseur de ponts, doit continuer plus que jamais à le faire. Il faut qu’il y ait ce ciment qui puisse rassembler au maximum, chaque fois que c’est possible, les 27. Mais parfois ce n’est pas possible. Il faut donc pouvoir aller vers une Europe à plusieurs vitesses. On doit pouvoir avancer à 27 quand c’est possible, mais quand ça ne l’est pas, on ne peut accepter que quelques Etats européens – sur base de leur souveraineté, de leurs opinions – empêchent que des décisions ne soient prises, et créer cette situation d’Europe immobile. D’Europe en panne.

C’est pour cela que dans le cadre du Benelux nous avons été parmi les premiers à ouvrir cette idée d’une Europe à plusieurs vitesses. Cette idée n’est pas totalement neuve, que ce soit dans le cadre de la monnaie unique ou de la zone Schengen, il y a eu cette capacité de progresser sur un certain nombre de sujets avec plusieurs pays qui ont voulu aller plus vite et faire des choses ensemble.

L’autre point dans la méthode, c’est peut-être une expérience belge. C’est ce que j’ai appelé la « théorie de l’assiette ». C’est-à-dire que si on veut prendre des décisions, au lieu de s’enfermer dans un débat « on est pour la méthode communautaire vs. On est pour la méthode intergouvernementale » (je suis plutôt pour la méthode communautaire, ça n’est pas un scoop), je pense qu’on doit pouvoir mettre sur la table des sujets qui en apparence ne sont pas liés les uns aux autres mais qui permettent à un groupe de considérer ce qu’il y a sur l’assiette comme absolument intéressant, même si tout ne nous plait pas. C’est l’idée du compromis actif, du compromis intelligent qui permet de décider de sortir d’une Europe en panne ou immobilisée.

Pour être encore plus concret, je pense qu’autour des trois enjeux évoqués, la capacité des leaders européens (Commission, gouvernements, parlements et surtout citoyens) de dessiner 10 ou 20 propositions concrètes, précises et qui s’articulent pour répondre aux aspirations des citoyens est essentielle pour les années à venir. Il faut donner des réponses à des attentes très concrètes et quotidiennes, et ainsi sortir de cette impression d’Europe éloignée de la réalité. C’est un enjeu extrêmement important et dans le cadre duquel je souhaite être très mobilisé.

 

 

 

Conclusion

Enfin et pour conclure, il y a donc trois promesses à mes yeux, et une méthode. L’Europe est un des plus beaux projets portés par l’humanité, un projet de respect, de paix, de prospérité, par nature une œuvre imparfaite et inachevée. C’est une œuvre perfectible. Il ne tient qu’à nous, et je crois qu’il y a en Europe suffisamment de talent, d’intelligence, de ressources et de bonnes volontés pour faire en sorte que ce projet soit encore un projet porteur de succès, d’espérance et de résultat dans le quotidien des citoyens. Winston Churchill disait : « Il n’y a qu’une réponse à la défaite, c’est la victoire ». La victoire est ce que je souhaite tous les jours pour le projet européen.

 

 

 

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