Contexte

INTERVIEW - Sophie Wilmès, Première ministre: "Une énième réforme n’est pas urgente dans ce pays"

Dans sa première interview, la première Première du pays appelle à passer au concret du côté des négociations fédérales. Si elle se sent honorée d’avoir pu succéder à Charles Michel au "16", marquant l’histoire politique belge au passage, Sophie Wilmès n’en reste pas moins concentrée sur l’objectif premier: arriver à former un gouvernement rapidement. "J’attends pour vraiment travailler".

L’Echo - samedi 02 novembre 2019 – Simon Souris, Jasper D’Hoore en Dieter Dujardin

Depuis une semaine à peine qu’elle est en poste, c’est la course pour Sophie Wilmès. Elle nous accordera donc 30 minutes. Pas une de plus. "Parce que j’ai encore beaucoup de choses à faire", confie depuis son nouveau bureau la désormais Première ministre. Sa victoire. Même si elle tempère d’emblée: "Jamais je n’ai vu mon engagement politique comme un moyen de faire carrière, mais bien comme essayer d’aider au mieux de remplir une véritable mission".

"Je n’ai jamais vu mon engagement politique comme un moyen de faire carrière."

On enchaîne. Sur son sentiment, samedi, lorsque la décision tombe. Elle succédera à Charles Michel. Son nom était déjà cité depuis un moment parmi les possibles, mais le CD&V a un temps bataillé pour imposer Koen Geens à la place. La libérale raconte: "Je me suis sentie très honorée de la confiance qui m’était accordée" lors d’un choix "pris tous ensemble", en comité ministériel restreint (le "kern"). Qui ne fut pourtant pas fêté au champagne à la maison. Non, "j’ai surtout réuni mes quatre enfants dans le salon afin de leur expliquer les conséquences de cette nomination sur notre organisation familiale. S’ils étaient habitués à ce que je sois peu à la maison, je leur ai dit que cela pouvait encore s’aggraver. Heureusement, mon mari m’a toujours soutenue."

Parenthèse fermée. Ce sera la seule incursion dans la vie privée de l’intéressée. Car, chassez le naturel, il revient au galop. Elle ajoute alors tout de suite, fidèle à sa réputation de femme d’action, sur son ressenti du week-end dernier: "Je suis surtout consciente des responsabilités qui sont les miennes. Et ce, même en affaires courantes, quelque chose de pourtant très cadré, où il n’est pas possible de prendre de nouvelles initiatives, mais juste de réagir à l’urgence", ponctue-t-elle. Et pour cause, "soucieuse de la continuité de l’État", l’objectif de la nouvelle numéro un en poste au "16" est de poursuivre la marche de "la manière la plus sereine possible", certes, mais dans la bonne direction. Soit celle d’un mouvement significatif du côté des négociations fédérales.

"Il faut vraiment qu’on passe à des négociations sur un projet au Fédéral. Je ne comprends pas que ça prenne autant de temps."

Sophie Wilmès est catégorique à ce sujet et appelle à du concret. "Il faut vraiment qu’on passe à des négociations sur un projet, avec du contenu, une vision. Je ne comprends pas pourquoi cela prend autant de temps." Est-ce dû au fait que les deux informateurs royaux, Didier Reynders (MR) et Johan Vande Lanotte (sp.a), n’auraient rien fait? La Première ministre réfute. "Les présidents de parti ne peuvent pas négocier partout en même temps. Ce n’est pas possible. Ils ont d’abord réglé le sort des Régions."

"Arrêter avec les exclusives"

Mais, voilà, maintenant, il n’y a plus que le Fédéral qui manque. "Il est temps d’arrêter avec les exclusives qui ont complexifié la formation d’un gouvernement – nous, au MR, n’en avons pas. Il faut que les responsables de deux plus importants partis du nord et du sud du pays (le PS et la N-VA, NDLR) s’assoient autour de la table. Et qu’on avance vers de la pratique. Les préformateurs ont les cartes en main. On verra ce que leur note de lundi contiendra, mais j’espère qu’ils y auront développé une vision claire pour le futur proche. Car, de mon côté, j’attends pour vraiment travailler (aux négociations, NDLR)."

"La mission reçue de la part des électeurs est claire, et ne va pas dans le sens d’une réforme de l’Etat."

En vue de l’avènement d’une coalition bourguignonne, qui allierait socialistes, libéraux et la N-VA? Qui pourrait entre-ouvrir la porte à une éventuelle réforme de l’État. "Une énième réforme n’est pas urgente dans ce pays, à la différence du soutien continu à l’économie, au pouvoir d’achat, ou encore au climat par exemple. Rien que sur ce dernier point, on a entendu tellement de gens dans la rue exprimer leurs valeurs et on irait désormais faire autre choses que ce qu’ils demandent? Quand on regarde les programmes de la dernière campagne électorale, les thèmes majeurs étaient l’économie, le climat, la migration… Pas une réforme de l’État. La mission reçue de la part des électeurs est claire, et ne va pas en ce sens".

Un début de carrière comme conseillère communale à Uccle

Du reste, pour ce qui touche au symbole, celui d’avoir réussi ce que 14 autres pays européens avaient accompli avant la Belgique, à savoir qu’une femme accède à la fonction première de la politique, Sophie Wilmès est ravie. "Une femme Premier ministre, même en affaires courantes, cela crée un précédent. C’est important pour beaucoup et cela constitue un signal positif sur la capacité de chacun à réaliser ses ambitions".

Les siennes ont d’ailleurs démarré "il y a déjà 19 ans", se souvient-elle. À l’époque, elle croise, en tant que citoyenne active, dans un comité de quartier, le chemin d’Eric André, alors conseiller communal à Uccle. Une rencontre déterminante puisqu’elle ne tarde pas à suivre ses pas. Au même poste. Leur premier sujet de conversation? "Les permis de bâtir", sourit-elle. De là, après un passage par un cabinet d’avocats d’affaires, elle passera par quasi tous les niveaux de pouvoir. Sauf à la Région où l’Union des francophones a toujours eu des difficultés à obtenir un siège – Sophie Wilmès vit à Rhode-Saint-Genèse où elle a atterri pour raisons personnelles et en est "très fière".

Si elle a choisi le MR, "c’est pour les valeurs que transporte le parti. Surtout celle de liberté, c’est-à-dire de permettre à chacun de se réaliser comme il l’entend, dans un État organisé telle une communauté où chacun a sa chance". Quant au volet socio-économique, il s’agit d’avoir un État "qui aide et donne un cadre, sans pour autant être intrusif dans la vie des gens ou des entreprises".

Un marchepied en 2015

Des valeurs qui la portent, en 2015, à coiffer la casquette de ministre fédérale du Budget, en remplacement d’un Hervé Jamar parti gouverner la Province de Liège. Son baptême du feu à grande échelle. Mais aussi un marchepied vers une plus grande notoriété sur le territoire.

Son bilan, elle l’assume. Et le défendra jusqu’au bout des ongles. Le dérapage budgétaire qui devrait déboucher sur un déficit structurel de 11,8 milliards d’euros d’ici 2024, ce n’est pas le résultat du gouvernement Michel. "C’est faux que de l’affirmer. Le gouvernement est tombé en décembre 2018 et, à partir de là, il n’a plus été possible de prendre de nouvelles mesures". Le navire Belgique est donc parti à la dérive.

Du reste, sous la précédente législature, ce qu’il faut retenir, pour la Première, c’est que "nous avons ramené le déficit à un niveau historiquement bas (il a été réduit de trois quarts, NDLR). Aussi, on a diminué la dette. Alors, est-ce assez? Avons-nous atteint l’équilibre? Non. Mais il est indiscutable que nous avons créé les conditions pour garantir l’assurance du financement de l’État à l’avenir." Pour le reste, la faute tient à l’absence d’exécutif de plein exercice. "C’est pour cela qu’il faut un nouveau gouvernement au plus vite".

© Siska Vandecasteele / L'Echo